Reconversion et formation professionnelle

Prévenir les conduites addictives dans l’environnement professionnel
Les Moë-Kan dans la plaine du Polygone

Secteur d’activité spectacle et événement. Rencontre avec Cédric LE GOFF (gérant de la société WallOnStage)

Moë-Kan : Cédric, il s’agit d’évoquer ce que la formation t’a apporté dans la période de reconversion que tu as connue, ainsi que ce qu’elle peut t’apporter encore aujourd’hui. Mais, pour commencer, peux-tu me dire ce qui t’amène au spectacle vivant ?

Cédric LE GOFF : Je suis un pur produit du milieu associatif, milieu par lequel j’ai découvert le spectacle et la diffusion d’événements et de projets culturels. Cela date de mon adolescence, via des associations locales, dans une petite commune de 7000 habitants du Finistère nord, où j’ai, au fur et à mesure, participé à des organisations de spectacles mises en œuvre par des gens plus âgés que moi. Ce sont ces événements festifs qui m’ont amené à intervenir, au départ, sur des responsabilités de gestion de buvette, de pôle restauration.

Moë-Kan : le tout en bénévole ?

CLG : Oui. Je me suis rapproché de la scène et de la proposition artistique petit à petit.

Moë-Kan : que fais-tu en parallèle de ce bénévolat ?

CLG : Je mène une scolarité normale, lycée, filière scientifique et formation post bac courte type BTS/DUT. La professionnalisation dans le spectacle ne m’est proposée ni par ma famille ni par l’éducation nationale.

Moë-Kan : A priori, rien jusque là ne te destine, ne te motive, ne te tente à intégrer le milieu du spectacle vivant ?

CLG : C’est cela. L’éducation nationale m’emmène vers des filières pratiques, et, comme j’ai des bons résultats, vers des études scientifiques. Le choix de carrière dans le spectacle n’est pas évoqué, cela n’existe même pas. J’ai donc choisi mon parcours, et, comme j’étais très à l’aise avec les matières scientifiques, je n’avais pas de frustrations. Dans le cadre de mon engagement associatif, je vivais des moments festifs et spontanés et, à côté, mon parcours scientifiques. Je ne me rends compte que quinze ans plus tard que je développe une double compétence.

Moë-Kan : Avec quel diplôme termines-tu ta formation initiale et quelle est ta première rencontre avec le marché du travail ?

CLG : J’achève mes études avec un BTS chimiste, et j’ai comme projet d’être programmateur, régisseur général d’une salle, et je m’y investi jusqu’à ce qu’on me dise, alors qu’on me l’avait laissé entendre, qu’il n’y aurait pas les moyens financiers pour me salarier. Je me lance donc dans la recherche d’emploi. Très rapidement, je trouve un emploi dans le secteur de la recherche dans la chimie des matériaux, pour un grand groupe français caoutchoutier. Nous sommes alors en 2001.

Moë-Kan : Quel est le prétexte qui rend possible ta reconversion ?

CLG : En fait nous n’en sommes pas encore là. J’ai, à ce moment-là, vécu la désillusion de la professionnalisation dans le spectacle qui n’a pas eu lieu. J’arrive dans le Loiret, à Montargis, pour mon travail. J’y monte une association et un festival, qui existe encore aujourd’hui. J’intègre le réseau local que je découvre, que je rencontre et que je dynamise. EN 2007, la passion est toujours là et je travaille alors sur un projet de péniche spectacle à Montargis, avec un associé, qui ne verra jamais le jour. Je suis déjà à deux pas de franchir le cap en ce qui me concerne. Je suis alors déjà confronté à la formation puisque, pour posséder un lieu qui accueille du public, on doit passer une formation, la licence d’’exploitant. Mais je continue ma carrière au centre de recherche à Montargis.

En 2009, je me fais recruter par une entreprise concurrente dans l’activité du verre, pour un poste avec des perspectives intéressantes. En 2011, l’entreprise déclenche un plan social. Je décide alors de lancer une reconversion. J’y suis encouragé par un certain nombre de personnes, certaines travaillant chez des prestataires techniques qui voulaient que je parte avec eux sur la route, des organisateurs de festivals qui voulaient que je gère leur dossier de sécurité…

Tout converge vers « oui, tu peux le faire, mais il faut te former ! »

Moë-Kan : Pourquoi considère-tu à ce moment-là la formation comme indispensable ?

CLG : En fait tous les gens que j’ai consultés m’ont dit que si je ne passais pas en formation, je n’aurais aucune valeur ajoutée.

Moë-Kan : tu intègres donc un centre formation ?

CLG : je m’y forme en prévention des risques, sur les notions du spectacle, en son, lumière, accroches et levage… Cela me permet à la fois de valider des titres, et de me donner un aperçu de mon niveau. Je me rends compte que je connais beaucoup plus de chose que je ne le croyais.

Moë-Kan : combien dure cette formation ?

CLG : la première dure 4 mois.

Moë-Kan : fais-tu alors un parallèle entre ta formation initiale et celle-ci ?

CLG : Non, le parallèle peut plutôt être établi dans l’opérationnel. Une fois toutes les formations effectuées (régie du spectacle, habilitation électrique, accroche levage, SSIAP 1, prévention des risques pour la licence d’exploitant), je passe des entretiens. Mes interlocuteurs apprécient à la fois ce parcours de formation qui les rassure, et leur donne des référentiels par rapport au secteur d’activité, et mon parcours qui montre que je ne suis pas arrivé là par hasards. Ils sont interpelés par mon potentiel organisationnel en production de document, gestion du personnel. Je rassure mes interlocuteurs à ce niveau-là où existe, je crois, une carence dans la profession.

Moë-Kan : Tu décide donc de changer de voie professionnelle, de prendre des risques pour assumer jusqu’au bout une passion ?

CLG : Tout a fait. A quinze ans, je découvre avec quelques amis qu’on peut se serrer les coudes et mettre un artiste sur scène, et ramener 3000 personnes qui vont passer un bon moment, loin de la torpeur du quotidien. Je trouve cette énergie extraordinaire. Faire parti des gens qui facilitent la mise en œuvre en respectant le cadre légal, règlementaire, puisqu’aujourd’hui la tendance est de tendre vers le risque zéro. Longtemps, le spectacle a été en marge de ces exigences, mais aujourd’hui, comme pour tous les secteurs, cela n’est plus possible.

Je suis ravi de réussir à faciliter la tâche à des organisateurs qui se retrouvent dans la place que j’occupais il y a 15 ans.

Moë-Kan : Peux-tu résumer l’apport de ce temps de formation dans un organisme de formation dédié au spectacle, dans la qualité de ton travail actuel ?

CLG : Nous sommes face à des formateurs qui ont de l’expérience dans un secteur d’activité, des personnes qui nous enseigne des notions d’accroche et de levage, autour de problématique de système son ou lumière.

Nous sommes face à une formation théorique avec des personnes qui connaissent leur domaine théoriquement, mais avec un certain nombre d’éléments pratiques. Notre problème aujourd’hui est de savoir comment on va accrocher un stack de son plutôt que de savoir comment on va lever un bateau pour le sortir d’une cale sèche. Cet apport est aujourd’hui tout de suite mis en exergue sur le terrain parce que nous sommes formé par quelqu’un qui nous oriente sur des problématiques spectacle. Lorsque nous sommes formé par un centre de formation qui est conscient de la complexité du domaine, sa valeur ajouté est directement lié à ces problématiques particulières où beaucoup de gens aux métiers divers travaillent ensemble, avec des problématiques temps, coût, différentes. En plus de l’aspect technique, nous avons la valeur ajoutée appliquée au secteur d’activité.

 

Moë-Kan : Peux-tu imaginer le même parcours sans l’accès à la formation ? qu’est ce que cela aurait modifié ?

CLG : Je pense que cela aurait été beaucoup plus difficile, parce que la prévention des risques joue aujourd’hui un rôle important dans le recrutement des cadres du spectacle ; et, malheureusement, une entreprise peut recruter un cadre du spectacle qui a les titres et habilitations qui font plaisir à l’administration, mais qui n’a aucune sensibilité artistique et aucun souci de l’accueil du public ou même de relation humaines au sein d’une équipe technique. Il est regrettable que certain recrutement s’opère uniquement sur les titres et la formation. La perversité est que je peux me barder de CACES, de formation diplômante et avoir ainsi, peut-être, du travail, sans avoir ces sensibilités.

Moë-Kan : Mais alors comment aurait été ce parcours sans la formation ?

CLG : Je pense que je serais road aujourd’hui. C’est grâce aux titres de référence identifiés dans notre secteur d’activité, que j’ai pu rentrer et faire ressortir d’autres qualités qui ont, a posteriori plu aux employeurs. Mais sans la formation, je n’aurai pas la direction technique ou la régie générale des événements que j’encadre aujourd’hui.

Moë-Kan : Parce qu’aujourd’hui, qui est Cédric Le Goff ?

CLG : Je suis responsable d’exploitation de la machine du Moulin Rouge à Paris, j’assure des régies générales de manière ponctuelle à la Bellevilloise, la régie générale du festival des Accroche-Cœurs à Angers, la régie générale des événements hors les murs du Fourneau à Brest, la coordination de la billetterie du Reggae Sun Ska à Bordeaux, et enfin la coordination des flux extérieurs et toutes les propositions extérieures du festival Terre du son à Tours.

On peut ajouter à cela des interventions pédagogiques avec des organismes de formation et la production et le mangement d’un projet de musique actuelle.

Moë-Kan : et tout cela avec un statut de Freelance ?

CLG : J’ai fait le choix de créer une entreprise, une structure qui me permet d’être plus à l’aise dans certaines perspectives. Aujourd’hui, tout le monde ne peut pas salarier d’intermittent, il faut par exemple avoir recours au GUSO, alors que tout le monde peut faire appel à un prestataire de services. En créant mon entreprise, je me suis dit que j’aurai un spectre plus large de clients, et je me dis également que, si cela fonctionne, puisque le management est quelque chose qui m’intéresse, je vais pouvoir emmener des gens vers des valeurs de travail, des méthodes et des outils qui peuvent correspondre à des organisateurs, pourquoi pas se laisser cette porte ouverte ? Pour la quatrième année d’exercice de l’entreprise, des événements vont se dérouler avec Wall On Stage, sans que le responsable de l’entreprise soit présent.

Moë-Kan : donc en 2007, tu opères une reconversion et en 2014, tu as des fonctions managériales et c’est passé par un parcours de formation. Peux-tu imaginer ce parcours sans la formation ?

CLG : Non, sans la formation, je ne peux imaginer ce parcours. D’une part, il m’a permit de progresser intellectuellement, et à être sensibilisé à des pratiques artistiques et techniques, et à des questions pour lesquelles l’autorité souhaite des réponses. La formation me permet d’apporter ces réponses. Cela permet la réalisation d’événements. Grâce à la formation, des événements ont lieu, alors que sans, ces événements n’auraient pas lieu. En outre, une fois dans le milieu, si des gens me piquent ma place demain, cela signifiera que je n’aurai pas su maintenir mon niveau de connaissance au niveau souhaité. Je me serais mis en danger parce que je n’aurai pas su faire preuve d’humilité et continuer à me former. Lorsqu’on arrive, comme moi, dans le cadre d’un parcours de reconversion sanctionné par des formations de départ, cela s’entretient. Il faut poursuivre la progression intellectuelle et technique. C’est le seul moyen d’apporter une valeur ajoutée au secteur. Personnellement le fait de progresser et de continuer à apprendre des choses me stimule.

Moë-Kan : Malgré des fonctions assez hautes dans le spectacle événement, tu continues donc à te former. Mais tu as également une autre activité, qui est celle d’intervenant pédagogique dans ces mêmes centres de formation dans lesquels tu étais stagiaire il y a quelques temps. Qu’en est-il de la posture du formateur ?

CLG : Dans le fait de travailler dans le milieu du spectacle, il y a quelque chose qui me tient vraiment à cœur, c’est à la fois de transmettre le programme pédagogique qui nous est soumis via la réglementation mais surtout de faire, de manière récurrente, un rappel à l’ordre sur la fait que cette règlementation est liée à une typologie d’activités, celles du spectacles. Concernant, la formation d’équipier de première intervention, à un moment donné, le problème est que nous avons mis 200 personnes dans le noir et que l’on opère pas de la même manière dans ce cadre que dans celui d’un building ou tout le monde est à son bureau dans la lumière. Un autre exemple est celui lorsque je travaille avec des techniciens et que j’enseigne avec des techniciens des matières plus générales autour du son ou de la lumière, même si cela tient une toute petite place dans le programme, il me tient à cœur de rappeler à ces personnes qui sont des futurs régisseurs son et lumière, que d’avoir un super système de son et de lumière, c’est bien mais qu’à un moment donné, il y a un artiste et qu’il faut avant tout respecter les choix de l’artiste.

Aujourd’hui j’enseigne les mathématiques appliquées aux techniques du spectacle, sur les problèmes d’accroches, d’électricité, des problématiques budget. J’essaye de casser l’appréhension que les gens peuvent avoir pour les maths. Je donne également des cours sur l’appréhension des fiches techniques pour les régisseurs plateau, des cours d’Excel pour familiariser les stagiaires avec cet outil, et, en termes de prévention des risques, SSIAP1 et équipier de première intervention.

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