Les Moë-kans ont pu s’entretenir avec Laurent Obach, notamment directeur Technique sortant, et de longue date du Festival Rock en Seine. C’est un véritable professionnel passionné au champ de compétences et de savoir à 360 degrés. Voici notre manière de célébrer nos points de convergences, et de présenter son parcours et sa démarche de facilitateur.
Moë-Kan : Dans les interviews de la Gazette Moë-Kan, il est de coutume de commencer nos échanges en demandant à nos interlocuteurs de nous présenter leur parcours. Pour rester dans cette tradition, peux-tu nous raconter ton parcours entre tes années d’apprentissage et aujourd’hui ?
Laurent Obach : J’ai arrêté les études en seconde. J’étais en conflit avec le monde de l’éducation et la façon dont on essayait de nous inculquer les connaissances et le savoir. Je suis donc parti tôt sur les routes, et j’ai bourlingué. J’ai donc connu une première étape durant laquelle j’ai fait un peu tout et n’importe quoi. J’ai également effectué mon service militaire en tant que volontaire service long. Je suis parti pendant 18 mois à Berlin en 1985, alors que le mur était encore debout. J’ai fait mon service car j’avais besoin de me cadrer, de savoir comment j’allais vivre la suite. Mon souci avec l’école était aussi un souci avec l’autorité. Je voulais apprendre, connaitre, mais pas subir. Durant le service, j’ai fait des classes spéciales pour être sous-officier, et donc donner des ordres tout en en recevant. Je me suis rendu-compte de compétences durant cette expérience. J’encadrais des gens, j’ai donc pu, sur le tas, développer des compétences managériales. J’ai également découvert que j’avais une manière de hiérarchiser les choses dans ma tête en fonctionnant avec des boites, une propension à tout classer. Cela peut parfois paraître insupportable, même si je m’adoucie avec le temps.
En sortant du service, j’ai un peu erré. Je ne savais pas trop quoi faire. J’ai retrouvé un ancien camarade de seconde vivant à Anger qui m’a proposé de venir dans cette ville. Je m’y suis installé, j’ai postulé au centre des congrès d’Angers. Je me suis présenté en tant qu’hôte pour l’accueil des spectacles : ouverture, contrôle des billets, placement, etc.
Petit à petit, je me suis rendu-compte qu’il existait d’autres secteurs d’activités qui pouvaient m’intéresser côté musique. J’ai commencé à m’intéresser à la technique. Je n’avais pas envie de devenir technicien son ou lumière, mais d’avoir une vision globale des choses. J’ai travaillé avec ces gens sans avoir de spécificité, sans être catalogué technicien son ou lumière. J’ai continué comme cela jusqu’au Festival d’Anjou, grand festival de théâtre alors dirigé artistiquement par Jean-Claude Brialy, et géré économiquement par le conseil général. Et puis ces gens-là ont entendu parler de moi, il fallait leur monter une billetterie informatisée. Ils m’ont demandé si je savais, j’ai répondu que oui. Ce n’était pas vrai et j’ai appris. Je suis devenu le référent billetterie du Festival pendant plusieurs années. Le reste du temps, je vivotais à droite à gauche, une vie plutôt agréable. J’avais des activités au centre d’art dramatique national (Nouveau Théâtre d’Angers), etc. J’étais rentré dans le milieu culturel, jusqu’au moment où je suis parti six mois vivre à Londres, afin de parfaire mon anglais.
Avant de reprendre le Festival d’Anjou (en période estivale), la directrice m’a appelé pour me dire qu’elle démissionnait, qu’une nouvelle équipe était en constitution, et que je devrais postuler. J’ai postulé. Je me suis retrouvé à un rendez-vous avec le président du conseil général qui était à l’époque sénateur et ministre de l’économie. J’ai reçu quinze jours après une réponse comme quoi j’étais pris comme directeur administratif du Festival d’Anjou. J’ai passé huit ans dans cette structure, que j’ai pu restructurer en profondeur. J’ai fait mes armes, et ce malgré de nombreux désaccord avec monsieur Brialy. Nonobstant certaines réticences du Conseil Général, j’ai pu monter de nombreux projets culturels pour faire découvrir le théâtre. Durant quatre ans, j’ai pu travailler avec un directeur technique du nom de Djamil Benali (société Triphasé). Il faisait la direction technique sur le Festival. J’ai pu, grâce à lui, m’intéresser davantage à la technique, là encore, sans devenir un spécialiste.
J’ai pu développer mes compétences managériales et comprendre que, pour amener les gens à se développer et à s’épanouir dans le travail, la meilleure manière est de les écouter et de répondre à leurs besoins. J’entends par besoin le fait de bien les héberger, de bien les nourrir, de leur donner le moyen de travailler dans de bonnes conditions.
Un jour, Djamil Benali m’a dit qu’il souhaitait arrêter de travailler pour le festival. Je lui ai dit « alors, moi aussi ! » Je ne voulais pas refaire un encadrement avec un nouveau directeur technique, et j’avais le sentiment d’avoir fait le tour de ma fonction. A cette période, j’ai également eu un accident de moto. Durant ma convalescence, j’en ai profité pour faire le point sur ma vie et mes envies. Compte-tenu de ma notoriété (locale) acquise grâce au festival, il fallait que je parte d’Angers.
Désireux apprendre l’espagnol, je suis parti vivre à Madrid.
Durant deux ans, j’ai bien profité de la vie. Je travaillais dans le milieu de la pub en organisant des tournages pour Citroën et Peugeot. J’ai pu mettre à profit mon expérience du festival d’Anjou dans l’univers audiovisuel. Cela restait cependant un peu dans la culture, car les publicités étaient tournées en 35 mm. A chaque fois donc, on tournait des vrais films.
Au bout de deux ans, je suis rentré en France et me suis installé à Montpellier. Je trouvais que la dynamique culturelle était sympa, et je ne me voyais pas revenir dans le nord de la France. J’ai repris contact avec Djamil Benali. Il m’a pris comme régisseur sur différents festivals (Les Effervessonnes, le Festival du vent à Calvi…).
En 2005, j’ai fait mes débuts dans l’évènementiel. Je constate avec le temps que j’ai toujours eu beaucoup chance et d’opportunité. Pour exemple, mon premier contrat fut l’inauguration du TGV Méditerranée (gestion des médias).
Cette même année, j’ai rejoint l’équipe du Festival d’Avignon (IN). Je venais de terminer une formation pour l’utilisation d’Autocad (logiciel de dessin technique) à l’ISTS[1].
Moë-Kan : Pourquoi Autocad ?
Laurent Obach : Quand j’ai travaillé sur le Festival du vent, j’y ai rencontré un autre de mes « pères » professionnels, monsieur Jean-Pierre Casacoli. C’était, par exemple, le référent des Rolling Stones lorsqu’ils venaient en France. Il était également à l’origine de toute la technique sur le festival Solidays, et sur Rock en Scène. J’ai beaucoup appris à ses côtés, en particulier le fait que le métier que nous faisons permet aux autres de travailler dans de bonnes conditions. Au moment de notre rencontre, il me prenait un peu comme son padawan. J’ai alors décidé d’apprendre à dessiner. Lui, le faisait à la main. J’ai choisi, quant à moi, d’apprendre à le faire sur Autocad. Cela m’a emmené à vivre de de grandes aventures professionnelles à ses côtés. Je suis ainsi intervenu sur le championnat du monde de Montgolfière à Châtellerault, sur la création et les six premières années de Rock en Seine. J’ai côtoyé également beaucoup de prestataires, ce qui m’a été très utile par la suite.
Un jour, Jean-Pierre Casacoli a souhaité arrêter Rock en Seine et me passer le flambeau. La succession ne s’est pas faite. Je pense que je n’avais pas encore les épaules assez larges. Attiré par les nouvelles technologies (vidéo, mapping…), je me suis concentré (durant 3 années) à développer mon réseau dans l’évènementiel. Cela m’a permis de travailler en France et à l’étranger.
J’en ai profité pour monter ma boite et arrêter d’être sous le régime de l’intermittence du spectacle. Jean-Pierre Casacoli avait cédé sa place (depuis trois ans) à la tête de Rock en Seine.
Ayant gardé de très bon contact avec l’équipe du festival, cette dernière m’a sollicité afin de les rejoindre à nouveau.
Fort de mes expériences acquises, je suis ainsi revenu sur ce festival. C’était il y a six ans. Durant cette période, j’ai occupé le poste de directeur technique du festival et, parallèlement, le reste de l’année, je fais beaucoup d’événementiel, de la convention, du séminaire, du lancement de produit, des événements grand public, corporate, etc…
Voilà où j’en suis à ce jour.
MK : Arrêter en seconde, c’est tôt. Est-ce que tu arrêtes parce que l’école te dit stop, ou avec une raison très particulière ?
LO : En fait, j’avais un background assez difficile. Mais surtout, bien que j’eusse un certain facilité à l’apprentissage, à la connaissance et à la compréhension, j’avais du mal à tenir en place. L’éducation nationale semble avoir évolué depuis, je le constate à travers mon fils, mais lorsque tu étais agité en classe, on te mettait à l’écart. On n’essayait pas de comprendre pourquoi. Tu rentrais alors dans une spirale. Puisqu’on te mettait à l’écart, tu commençais à faire le con, tu trouvais des biais pour te faire remarquer, en dehors de tes capacités à apprendre et comprendre. A la fin, je ne faisais plus rien à l’école. J’étais très souvent en pension. Comme personne ne comprenait mes agissements, j’ai donc décidé d’arrêter. On m’a dit chez moi, « si tu n’es pas content, tu prends la porte ! » Je me suis dit que c’était une bonne idée.
MK : Décider d’arrêter, c’est quand même faire preuve d’une sacrée maturité. Que te reste-t-il de cette expérience ?
LO : Cette maturité est à nuancer. Nous sommes au début des années 80, travailler était moins un problème que par la suite. Ne sachant pas ce que je voulais faire, j’avais pas mal de possibilités qui s’ouvraient à moi. La seule chose que je savais, c’était que je ne voulais être ni boulanger, ni garagiste (respect pour ses métiers), c’est-à-dire les deux voies que l’école m’offraient à l’époque. Quand ton univers familial t’apprend à t’autogérer, tu n’acquières pas forcément de la confiance en toi sur ce que tu vas devenir, mais tu acquières de la confiance en toi pour vivre au jour le jour. Ce mode de fonctionnement te fait pousser des ailes. Mon éducation m’a permis d’éviter de mal tomber à travers de mauvaises rencontres, et j’ai eu la chance de faire de bonnes et heureuses rencontres également. Je fréquentais beaucoup d’étudiants qui faisaient des études, et cela me forçait à garder un certain niveau. A l’occasion j’allais en cours en amphi, avec eux.
Très rapidement, je me suis rendu compte de la force et de l’intérêt de la formation professionnelle. Dans ma vie professionnelle, j’ai obtenu des postes nécessitant des bac +2, +3 ou +4 et c’est grâce à l’acquisition de compétences via la formation professionnel que j’ai pu être à la hauteur de mes fonctions.
J’ai appris le management, la comptabilité, la gestion, à dessiner, etc. Certes, je n’ai pas appris l’histoire de France, mais si j’ai besoin de la connaitre, j’ai les outils pour faire les recherches.
MK : Si j’ai bien compris, la rencontre avec le spectacle s’opère lorsque tu rentres au centre des congrès d’Angers. C’est presque un hasard, finalement. En as-tu un souvenir artistique ?
LO : Oui, un souvenir musical. Le centre des congrès accueillait l’orchestre philharmonique des pays de la Loire. Alors que plus jeune, j’étais habitué à écouter des disques de classiques. Là, je me retrouvais dans une salle avec un orchestre de 25 ou 30 personnes, jouant les œuvres de Pachelbel et Albinoni. Je me suis assis dans le fauteuil. J’ai fermé les yeux et je me suis laissé emporté
Pour la première fois, je prenais conscience de l’importance d’une équipe (artistes, techniciens…) qui permettait à ce spectacle d’avoir lieu. Cette expérience du Palais des Congrès m’a donné envie d’aller voir d’autre spectacles (théâtres, danses…) afin de mieux comprendre, cet univers.
MK : Pourquoi n’es-tu pas un artiste, alors ?
LO : Je pense que je le suis…une sorte d’artiste introverti.
MK : Est-il nécessaire d’avoir une sensibilité artistique pour être à l’endroit où tu es ?
LO : En fait, que ce soit sur Rock en Seine ou dans l’événementiel, lorsqu’il n’y a pas de scénographe, on demande au directeur technique, ma fonction, d’avoir un regard sur la façon dont les choses vont se mettre sur le plan technique et sur le plan sécurité, pour voir si cela n’engendre pas d’inconvénients par rapports aux flux, etc… Lorsqu’on te propose d’avoir ce regard, tu as deux options : Soit tu t’arrêtes à ces aspects, soit tu peux avoir ce regard enrichi d’aspects artistiques sur le rendu. Par exemple tu peux évoquer, plan à l’appui qu’une image à un instant sur la scénographie ne sera pas visible pour la moitié de la salle. Petit à petit, bien que je ne sois pas scénographe, j’interviens pour faire des propositions. Ces six dernières années, sur Rock en Seine, j’ai beaucoup développé cet aspect car j’ai la latitude de dessiner Rock en Seine comme je le souhaite. Le seul prérequis, c’est la position des 4 scènes. J’ai été jusqu’à faire changer le sens d’une des scènes qui n’allait pas, à mon sens, avec le flux du public. Je suis à l’origine de plein d’aménagements sur le Festival. L’année de l’espace, j’ai fait installer une soucoupe volante, sur le bassin c’est marqué en gros « Rock en Seine » en néon. Je l’ai fait car je trouve intéressant le reflet de ces lettres dans l’eau. Ce sont de petites choses comme cela qui me permettent d’exprimer ma sensibilité artistique. Ceci dit, l’exemple le plus parlant, c’est que si tu regardes le plan de Rock en Seine, tu verras que rien n’est installé de façon linéaire. Tout est arrondi, tout a un sens. C’est la lecture scénographique et c’est aussi ce qu’on me demande. L’année dernière, j’ai fait volé un Drone qui a survolé le site, Ce fut flagrant.
MK : Pourquoi t’intéresses-tu, dans ta fonction, à ce qui se voit, et pas simplement à ce qui doit être mis en place ? Cela donne l’impression que tu es capable de changer d’angle.
LO : Il faut savoir surprendre le public. Si tu fais quelque chose qu’il a déjà vu, tu ne le surprends pas, tu t’inscris juste dans une redondance, tu vas le lasser. Parfois, tu es contraint par des lieux, et tu ne peux pas faire autrement. Tu peux cependant changer, par exemple, ta devanture de tente. Tout cela concerne la partie « public. »
Pour ce qui concerne les gens qui travaillent, je t’ai dit plus haut que mon métier est de donner les moyens aux gens de travailler dans de bonnes conditions. C’est parfois un des points d’achoppement que j’ai avec des scénographes sur des prestations événementielles. Ils te pondent un projet à la demande de l’agence, qu’il fait valider par le client. Sauf que le projet est immontable, ou dans des contraintes de sécurité maximum et dangereuses. Or, s’il avait pensé aux équipes qui allaient monter cela, cela aurait changé l’angle en prenant en compte les gens et les opérateurs travaillant sur cet événement. Je ne peux pas m’ôter de l’esprit le pratique et l’esthétique. C’est mon dilemme permanent.
MK : T’intéresser à ce que tu vois est donc une manière d’assumer le facilitateur et le fédérateur que tu es. Mais c’est également une manière d’exprimer un côté artiste.
LO : Oui. C’est la partie esthétique. La notion d’artistique est pour moi révélateur d’une émotion. J’aime donc créer des émotions avec les moyens et les outils dont je dispose. Par exemple, sur Rock en Seine, lorsque c’était l’année de l’espace, fabriquer une soucoupe volante de 5 mètres de diamètre, et de la scénariser comme ayant atterri dans le bassin avec de la fumée sortant de la soucoupe créait de l’émotion. Tu la retrouvais partout sur les réseaux sociaux, les gens se prenaient en photo devant. La photo la prise au festival en dehors de celle-là, ce sont les lettres sur le bassin. La seule chose que je change chaque année, c’est soit le positionnement des néons, ou la couleur. Chaque fois cela fonctionne. Il ne faut pas grand-chose, et cela me rappelle mon expérience avec le théâtre de rue à Calvi. Il n’y a pas besoin forcément d’avoir de l’argent pour faire des choses jolies.
MK : Je reviens sur ta période sous les drapeaux. Tu as évoqué des compétences managériales. As-tu le souvenir d’avoir eu à manager des gens compliqués ou des gens plus âgés que toi ?
LO : Quand tu te retrouves à 18 ans à devoir gérer un groupe de 40 personnes, et que tu n’as pas les compétences de gestion de personnes, la seule chose qui prévaut, c’est l’autorité du grade. Cela fonctionne cependant lorsque tu fais preuve de psychologie, et que tu as des personnes dociles en face de toi et qui ont compris l’intérêt. Là, en face de moi, j’avais des gens qui débarquaient des cités de Paris, qui étaient forcées d’être là, De fait, c’était très dur pour moi car je les avais tous pris de front en faisant valoir mon grade. C’est ce qu’on t’apprend à l’armée.
MK : Alors, le grade est facilitateur ou pas ?
LO : Il est facilitateur parce que, si on ne t’obéit pas, c’est la mise aux arrêts. Cela ne fonctionne qu’avec cette sanction. Au bout d’un moment, ce qui m’a éloigné de l’armée, alors que j’étais prêt à m’engager, c’est justement, cette sensation qu’il était possible de gérer des gens, de les manager, sans la notion de sanction.
MK : C’est ma prochaine question. Que reste-t-il aujourd’hui de cette expérience dans ta manière de manager ?
LO : Il en reste ça, le fait qu’on peut manager autrement que par la crainte de la sanction. Par le biais d’apprentissage que j’ai fait en PNL[2], j’ai également appris qu’il faut associer les gens pour les amener le plus loin possible. I s’agit de leur faire comprendre que ce n’est pas ta réussite, ce n’est pas celle de l’entreprise, mais c’est une réussite collective. A partir de là, tu peux amener les gens beaucoup plus loin. Il restera des récalcitrants qu’il vaut mieux écarter du dispositif. Globalement, cependant, ces quinze dernières années j’ai eu une gestion managériale importante. Sur Rock en Seine, j’ai beaucoup de monde sous ma responsabilité, et cela s’est toujours bien passé, parce que j’ai fédéré les équipes autour d’un vrai projet.
MK : Où est alors la limite entre manager et manipuler ?
LO : Elle se situe dans le respect. Tu peux manager de différentes façons. Tu peux manager par l’argent, par la stimulation, … les manipuler c’est leur promettre quelque chose qu’ils n’auront pas. Sur le Festival, j’avais des revendications de l’équipe de site qui me disait que cela faisait des années que les salaires étaient les mêmes. Je leur ai dit que plutôt que de batailler pour peu et que je n’étais pas d’ailleurs pas certain d’obtenir, je leur permettrais d’avoir des journées moins longues en faisant sous-traiter des missions qui leur étaient jusque-là dévolues. Ainsi, avec leur accord, ils ne gagnaient pas plus d’argent, mais ils travaillaient moins au final.
MK : Si tu dois te décrire professionnellement aujourd’hui, que dis-tu ?
LO : Je suis un facilitateur. Au sens large. Je pense que je peux appliquer cela quel que soit mon métier.
MK : tu t’es éloigné professionnellement du milieu du spectacle depuis 2006. Comment le regardes-tu ? Et que vois-tu ?
MP : Ce milieu s’est largement professionnalisé, et la prévention des risques et la sécurité n’ont jamais été aussi présents. Il y a peut-être, dès l’écriture, un manque de processus et peut être un peu trop d’affectifs. Cependant dans dix ans, ce milieu sera surement occupé par la fonction de chefs de projets et les process seront plus scientifiques dans leur mise en œuvre et leur efficacité.
La nécessité de performance économique investie de plus en plus le milieu du spectacle, et je ne crois pas que cela mettra en cause le nombre de spectacle. Dans les années 80, à Avignon, il y avait 350 spectacles. On en dénombre plus de 1400 aujourd’hui.
Mais les process du monde industriel sont-ils vraiment applicables dans le milieu du spectacle, je ne sais pas en fait, je n’ai pas la réponse. En tout cas, au niveau de la prévention des risques, cela a énormément bougé. Il y a une déclinaison du monde industriel sur le monde du spectacle.
MK : Vas-tu renouer avec le milieu du spectacle une fois ta retraite entamée ?
MP : Je ne sais pas. Aujourd’hui je suis dans un processus où j’arrête. Après 40 ans d’activité, je n’ai plus envie de bosser… rire…. Si je reviens, de toute façon, ce sera avant tout pour des raisons humaines. Comme pour le milieu nautique, ou celui du golf. Je réfléchi doucement a tout cela.
MK : Pour finir, quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui voudrait se lancer dans le milieu du spectacle ?
MP : Aujourd’hui il faut apprendre, aller à l’école. Il faut assimiler les bases pour avoir les compétences et les capacités de répondre à des missions variées et pouvoir évoluer. Apprendre la curiosité et le savoir-faire. Et être plus sur le fond et moins sur la forme.
MK : Donc pour en revenir à la question précédente, te considères-tu être le produit de quelque chose qui était déjà en route avec tes pairs professionnels ?
LO : Je pense que mes pairs professionnels sont liés à ma formation professionnelle. On t’appelle pour ce que tu es et ce que tu sais. C’est parfois dommage, car on ne se rappelle de toi qu’au travers de cette première approche, sans penser que tu aies pu grandir ou continuer à évoluer. Mes pairs professionnels m’ont donné les moyens de mettre en application ce qu’ils m’ont appris et ce que j’ai appris dans le cadre de la formation professionnelle.
MK : Tu as des exemples où des gens t’ont mis dans des challenges professionnels ?
LO : Oui. Cela s’est fait sur Rock en Seine avec Jean-Pierre. Mais, je ne me sentais pas de le remplacer dans les conditions qui m’étaient proposées, à savoir être dans un rôle de faire-valoir.
MK : Tu évoquais la sécurité. A partir de quand prends-tu réellement en compte ce domaine ?
LO : Cela dépend de quoi on parle. Si on évoque la sécurité au travail, comme mon rôle est de permettre à chacun de travailler dans les meilleures conditions, et que c’est lié au management, cela est venu assez tôt. A partir du moment où j’ai passé les CACES pour les engins de levage que je conduisais depuis des années, j’ai pu prendre conscience de pourquoi nous passions de certificat. C’est là où j’ai pris conscience de la prise de risque induite par cette conduite dans l’environnement dans lequel on travaille. Du coup, à l’époque où je n’étais qu’assistant de Jean-Pierre sur Rock en Seine, j’étais celui qui prenait la tête à tout le monde concernant le port de chaussures de sécurité. Un pied écrasé, c’est une carrière de brisée, car suivant les circonstances, tu peux terminer handicapé. J’ai été le premier à insister sur le port de casques, de harnais pour grimper. Je faisais de l’affichage sur le port des EPI partout. C’est fini l’époque du rock’n’roll où on montait de l’échafaudage avec des santiags !
Concernant la sécurité du public, ma dynamique est d’amener des gens dans un endroit où ils éprouvent des émotions. Ces émotions doivent être positives. Les gens doivent se sentir en sécurité. SI on doit les évacuer, nous devons préalablement avoir mis en place une logique, une pédagogie, tout un dispositif qui va nous permettre de les emmener du point A au point B dans des conditions optimum. Cela veut aussi dire que l’on va faire en sorte de limiter les risques d’incendie, les risques de blessures, tout en amenant des secouristes si nécessaire. Une fois que la personne est venue, a assisté à son spectacle et est repartie, si elle a été confrontée à des problèmes de circulation, de compression du public, elle n’en gardera probablement que ce souvenir. De nos jours, c’est aggravé avec les réseaux sociaux. Si jamais un spectateur ressent des émotions négatives à cause mon dispositif, cela sera mis sur les réseaux sociaux.
Quand j’arrive sur un espace, mon premier réflexe c’est de balayer le balisage, l’éclairage et les issues de secours. Je viens de faire un événement à la montagne, les trois-quarts du balisage de secours amenait sur des culs de sac, ou bien il y avait des tables devant les issues de secours. J’ai été voir le manager du lieu. Du coup, en accord avec le manager de la sécurité du client, on a masqué des blocs secours qui menaient vers des culs de sacs, on a fait retirer des tables. Les gens du lieu ne comprenaient pas. Pour eux, les gens allaient faire le tour d’une table située devant une issue de secours ! Mais non, quand on est en situation d’évacuation, on ne raisonne pas.
MK : L’histoire récente a modifié notre secteur d’activité. Qu’est-ce que cela a changé pour toi ?
LO : Pour moi, cela a été assez terrible. Tu peux prendre ce genre d’évènements de deux manières. D’une manière pragmatique et d’une manière émotionnelle. Les autorités ont pour vocation de prendre cela de manière pragmatique, il faut trouver une solution. J’étais, quant à moi partagé entre les deux. D’un point de vue pragmatique, je faisais tout pour que le public soit en sécurité. Mais en même temps, j’avais une part émotionnelle qui s’exprimait, puisque ceux qui ont attaqués lors des attentats le faisaient avec des armes de guerre. Même la police est en partie désarmés face à cela. Que puis-je alors faire, moi, directeur technique ? L’année des attentats de Nice, nous avons tout upgradé de façon exponentielle et de façon, peut-être, trop émotionnelle. Je me suis rendu-compte de la souffrance que cela générait. Je me réveillais la nuit en me demandant comment faire, et si la solution n’était pas de faire un festival sans public pour éviter que des débiles ne viennent ne s’y attaquer ?
En fait, au travers de mon comportement, et cette part émotionnelle, je rejoignais le public dans son ressenti, et je rejoignais également le politique. Ce dernier demande aux forces de l’ordre d’être pragmatique, mais derrière, il renforce une image très émotionnelle pour asseoir son rôle de politique. C’est ambivalent, et cela ne fonctionne pas. Cela fait porter des responsabilités à des gens qui s’efforcent de rester pragmatique. Je me suis alors rendu-compte j’avais une approche de la compréhension de mon problème et du discours à avoir qui était, d’un seul coup, à la fois organisateur, à la fois public, à la fois policier et politique, et le curseur se baladait entre les quatre. Je me suis alors dit que ce n’était pas possible. Je ne suis pas public, je ne suis pas politique, je suis organisateur, directeur technique, et je dois être pragmatique. Je dois donc comprendre le dialogue des gens qui sont pragmatiques, pour parler le même langage et comprendre ce qu’ils font. Certes, ce qu’ils font n’est pas forcément bien, l’intérêt n’est pas forcément d’avoir des hommes armés de mitrailleuses, de gilets pare-balles et casques à l’entrée d’un festival. Là, on aurait l’impression de rentrer dans une zone de conflit. Mais peut-être de pouvoir discuter avec les forces de l’ordre en ayant les mêmes propos, la même vision. Et peut-être pouvons-nous graduer cela différemment, l’étaler dans le dispositif…
Des échanges, donc, ont eu lieu sur ces problématiques. Je suis allé faire une formation à l’école de Police de Lyon. Nous y avons rencontré les autorités, préfecture, policiers, le numéro 2 du Raid. Ils nous ont parlé de leurs approches, de leurs visions. Nous nous sommes rendu compte que cela avait changé pour tout le monde. Même la police devait revoir son paradigme parce que, pour le coup, maintenant on ne discutait plus. La négociation n’avait plus lieu d’être. Les terroristes ne sont pas là pour négocier mais pour marquer le coup.
Tout cela m’a obligé à me rendre disponible malgré ma charge de travail et mes responsabilités importantes sur Rock en Seine. Il fallait que je sois aidé pour gérer mon quotidien. C’est dans ce sens que nous avons mis en place le PCO avec Moë-Kan. Cela m’a soulagé énormément dans mes tâches en faisant converger les problèmes vers ce centre, de manière à ce que ce centre soit un lieu de résolution ou au moins de mise en œuvre de protocoles établis. Du coup, j’ai pu prendre du recul, rester pragmatique et ne pas me faire envahir par ma part émotionnelle, parce que tout le monde s’agite en criant !
Tout cela m’a permis de vivre l’édition de l’année dernière (2017), où j’ai eu pour la première fois le PCO de Moë-Kan, différemment en sortant souvent de mon bungalow en allant au-devant du public pour valider de visu le dispositif mis en place.
De plus, mes relations avec les forces de l’ordre ont changé du tout au tout. Nous avons un commissaire divisionnaire qui est en charge de notre dossier, quand il est arrivé cette année en disant : « je veux faire ça, ça et ça », je lui ai répondu « non, car si on fait cela, je vais être emmerdé pour évacuer le public, s’il doit être évacué, si tu mets des forces de l’ordre là, est-ce que cela a un sens de faire flipper tout le monde en arrivant ? Peut-être qu’on peut les mettre en amont ? Peut-être aussi peut-on ne couper qu’une voie du pont pour permettre la circulation des gens de la ville et éviter ainsi les plaintes auprès des politiques… »
Cela m’a réconcilié avec le fait qu’un festival ne peut avoir lieu sans public, et que les terroristes, en fait, on les emmerde.
MK : Donc pour résumer, les impacts sont culturels et organisationnels ?
LO : Complètement. Mais avant tout culturels. C’est une philosophie qui a complètement changé dans ma tête.
MK : Donc il n’y a pas de marche arrière possible dans ta manière de travailler ?
LO : Non, parce que la société, le monde dans lequel nous vivons ne fera pas marche arrière.
MK : Ce choc culturel, comment as-tu souhaiter en parler avec tes pairs professionnels ?
LO : Je n’ai pas eu l’occasion de pouvoir le faire. Nous ne sommes plus en relation avec Jean-Pierre, ce que je regrette, et Djamil Benali était sur l’ouverture de l’U Arena. Nous n’avons pas vraiment eu le temps d’en parler. Ce qui est très intéressant, c’est qu’il a fait appel à mes services pour gérer les flux extérieurs. Je m’exposais donc à ma problématique d’il y a deux ans. Faire trois gros concerts consécutifs de 40000 personnes dans une salle urbaine où, s’il se passe n’importe quoi, cela peut donner… n’importe quoi, et bien, cela m’a donné un énorme challenge. J’ai trouvé extrêmement intéressant de passer mon temps dehors. J’ai pu me rendre compte que j’avais fait ma thérapie sur le sujet, et que j’avais développé des compétences spécifiques. Mais bon, mon métier n’est pas de ne faire que de la gestion de flux, même si l’apprentissage que j’ai eu m’amène à ne plus appréhender la gestion du public et la sécurité de la même manière.
MK : Quel est ton plus beau souvenir professionnel ?
LO : Le plus beau ? Il y en a plusieurs. J’en ai plein, basés sur le fait qu’on accède à des endroits où le public ne va jamais. Par exemple, je suis monté sur la coupole du grand Palais, tout en haut. De cet endroit, tu vois tout Paris, dont les jardins de l’Elysées. C’était magique ! Par contre, lorsqu’on montait en haut, il était obligatoire pour les personnes du Grand Palais de prévenir l’Elysées de ces interventions. Lors de cette opération, des ouvriers sont intervenus sur la verrière sans prévenir l’Elysées, et le raid a débarqué ! Les mecs ont été sorti de la coupole avec les mains dans le dos attachés par des serflex par le Raid !
MK : A l’inverse, ton souvenir le plus difficile ?
LO : De travailler une première fois dans les pays du Maghreb. C’est un choc culturel frontal sur le rapport à la finition, le rendu, le temps lié à des considérations que tu ne peux pas saisir.
Ah si ! J’ai failli finir en prison à Abou Dabi. Pour la petite histoire, j’ai cassé le cadeau du roi des Emirats Arabe Unis lors de l’inauguration de Masdar, la future ville solaire d’Abou Dabi. Nous travaillions sur la cérémonie de lancement des champs de panneaux solaires dans le désert. Tout changeait tout le temps, le cadeau était la réplique d’un panneau solaire en plastique, en maquette, nous étions en plein milieu du désert, cela ne passait pas, je l’ai incliné, elle tombe est tombé par terre et s’est cassé. C’est un grand moment de solitude d’autant que, là-bas, tu es traité comme un presque moins que rien. On a couvert le tout pour que personne ne s’en rende compte. Je suis allé voir la production. J’étais pressé de partir pour ne pas finir en prison. Le patron de l’usine des panneaux solaire venait d’être nommé ministre de l’Energie des Emirats Arabes Unis, et le roi venait pour le nommer officiellement ministre. Lui, il lui offrait ce cadeau en remerciement. Nous sommes allés voir le patron. Il nous a regardé dans les yeux et nous a dit « it’s your problem. » Je me suis retourné vers l’agence qui m’ont dit : « c’est ton problème. » J’ai rappelé le décorateur qu’il l’avait fait. Il m’a demandé de lui envoyer des photos. Le mec est arrivé trois heures après avec deux acolytes. Entre temps, on avait tout planqué dans un flight case. Et lorsque qu’on me demandait où était le cadeau, je répondais qu’il serait bien là en temps et en heure. En une heure, les trois décos l’ont remonté. Un truc impressionnant. On aurait dit un bloc opératoire. J’ai eu très peur cette fois-là.
MK : Pour finir, si tu avais un conseil à donner à quelqu’un qui veut rentrer dans ce métier et atteindre des fonctions de régie, d’encadrement, quel serait-il ?
LO : D’être sérieux, organisé, perfectionniste et très attentif à toute l’évolution technologique, parce que tout va très vite sur les moyens de communication, de son de lumière, les réseaux sociaux… Cela ne veut pas dire qu’il faille avoir une connaissance poussée de tout cela mais simplement d’être attentif à cette évolution constante et rapide. Ne jamais croire que tout est acquis !!
Il faut également savoir bien s’entourer, et il faut comprendre les contraintes de ceux qui font du son, de la vidéo et de la lumière et pas faire du son, de la vidéo et de la lumière. Il faut leur donner les moyens de bien faire tout cela. Tout cela en restant humble parce que dans ce métier, au final, nous ne sauvons pas des vies. En outre, quand nous faisons du spectacle, nous sommes au service de l’artiste, quand nous faisons de l’évènement, nous sommes au service de la réalisation de l’événement payé par le client.
MK : Concernant les parcours de formation, nous sommes à une époque, contrairement à celle que nous avons connus toi et moi, où il existe un parcours de formation initiale pour notre métier. Le recommanderais-tu ?
LO : Ce n’est pas inintéressant car cela structure les personnes. Tout dépend de quoi on parle, en fait. Est-ce qu’on spécialise les gens en son, lumière, vidéo, sécurité, … ou bien existe-t-il des formations qui t’apprennent à avoir une fonction managériale de ces secteurs sans rentrer dans le dur de chacun de ces domaines ? Cela dit, beaucoup de gens de nos âges sont rentrés dans ce métier par hasard.
MK : Tu évoques le fait d’être rentré dans ce métier par hasard, mais tout notre échange montre que tu n’es pas là par hasard en fait !
LO : Je le sais. Ce sont des opportunités que j’ai saisies. Concernant les formations, c’est bien que cela existe aujourd’hui mais ce qui te fait vraiment avancer, c’est d’être sur le terrain confrontés aux problématiques des gens que tu manages. C’est un peu la méthode Mc Donald. Avant d’être manager, tu passes le balai, tu fais les sandwichs, et ensuite tu deviens manager car tu as compris toutes les étapes. C’est ma vision.
MK : Merci Laurent, et à bientôt…
Crédits Photos : Laurent Obach, Laurent Obach, Aurélie Vandenweghe, Laurent Obach
[1] https://www.ists-avignon.com/
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Programmation_neuro-linguistique