Prévenir les conduites addictives dans l’environnement professionnel

3 questions à Philippe Cuvelette
Reconversion et formation professionnelle

Dans le cadre de la création d’une journée de formation par ARTEK-FORMATIONS et l’ANPAA

Moë-Kan : François, pouvez-vous nous présenter l’histoire de l’ANPAA ?

Francois AURIOL : l’ANPAA est une association dont le sigle signifie Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie. Elle a déjà une longue existence et a souvent changé de nom depuis sa naissance. Elle a notamment eu celui cocasse de ligue antialcoolique, celle dont parlait Bourvil dans l’un de ses sketchs des années 50 ! Je fais donc parti de la ligue antialcoolique (rires). Aujourd’hui, nous sommes donc l’Association Nationale de Prévention en Alcoologie et Addictologie, association qui s’est fortement développée ces quinze dernières années, en passant de 800 salariés à plus de 1400 aujourd’hui.

Lutte des classes et alcoolisme

 

Moë-Kan : De quand date sa création ?

FA : Août 1872. Son histoire correspond à la consommation de masse d’alcool dans notre société. Au XIXème siècle, l’alcoolisme devient un problème majeur de santé publique, des distilleries sont créées un peu partout. Cela coïncide avec le développement du monde ouvrier et des villes nouvelles où sont construits de nombreux bars. En outre, les syndicats prennent de l’ampleur, et les bars sont les seuls lieux dans lesquels les syndicalistes peuvent se retrouver. Autour de l’alcool se joue donc un conflit social. Le patronat pointe alors du doigt l’alcool comme étant le moyen pour les syndicalistes de recruter.

Dans ce contexte particulier naissent des associations aux intentions diverses, dans le but de combattre le problème, réel quoi qu’il en soit, de l’alcoolisme. A partir de la Première Guerre mondiale, puis des années vingt, le rapport à l’alcool change en France. On assiste, par exemple à l’interdiction de l’absinthe(1). Cela rendait fou.

Moë-Kan : À cette époque déjà, c’est le salarié qui est destinataire de l’information ?

FA : En tout cas, l’enjeu tourne bien autour du monde du travail, puisque le patronat dénonce les syndicalistes comme étant des alcooliques. C’est une lutte des classes virulente. Il s’agit alors de pointer les défauts des uns et des autres, et de les décrédibiliser. Dans ce contexte naît l’ANPAA. Comme je l’ai dit juste avant le rapport à l’alcool a changé. La victoire de la France, c’est la victoire du vin « le pinard » contre la bière ! En outre, suite au phylloxéra, de nombreuses vignes avaient été replantées et la production est abondante. Les actions de prévention mises en place sont donc moins importantes.

Moë-Kan : C’est de l’humour quand tu dis que 14-18, c’est la victoire du vin contre la bière ?

FA : C’est dans le discours de l’époque. Rappelons que la Première Guerre mondiale, ce sont de nombreux morts, des Gueules cassées2, mais aussi des malades alcooliques. PC : La consommation d’alcool dans les tranchées, c’est une façon de tenir ? FA : Évidemment. La présence d’alcool parmi les combattants leur permet de supporter la vie dans les tranchées. D’ailleurs, il y a également des expériences dont l’utilisation de l’ecstasy pour maintenir éveillés les soldats.

Du fou au malade

 

L’histoire de l’association doit également être remise dans le contexte où, en termes de soins, les malades alcooliques sont accueillis dans les centres psychiatriques. C’est le travail de cette association, et d’autres, alors composées de bénévoles, souvent d’anciens malades, qui permet de faire reconnaître, après la Seconde Guerre mondiale, l’alcoolisme comme une maladie, et non comme un faiblesse, tare. Jusque-là, l’alcoolisme est un problème psychiatrique. Zola, dans l’Assommoir, raconte comment les patients en delirium tremens sont laissés sans alcool et meurent du manque.

Le combat mené par l’ANPAA est alors de faire reconnaître l’alcoolisme comme une maladie qui nécessite un accompagnement particulier.

Addiction et addictions

 

Cette lutte concerne aussi les autres formes de dépendances à des produits. On trouve, en effet, déjà une consommation d’héroïne dès le début du XXème siècle, et, suite à la Grande Guerre. On peut notamment voir cela dans le dernier prix Goncourt 2013 « Au revoir là-haut ». Si l’alcoolisme a été reconnu comme maladie durant les années cinquante, il a, par contre, fallu attendre l’épidémie du SIDA pour que l’on s’occupe des toxicomanes. Les seringues sont en effet un vecteur de propagation du virus. Tant qu’on pensait que seuls les toxicomanes étaient victimes, tout allait bien. Lorsqu’on s’est rendu compte que cela n’était pas le cas, une campagne de santé publique beaucoup plus vaste a été lancée, et les toxicomanes y ont alors été inclus. A ce momentlà, nous en sommes arrivés à l’utilisation du terme d’addiction et d’addictologie qui a pris le pas sur le terme de dépendance.

L’addiction peut être plurielle. Plusieurs produits peuvent être consommés par une personne. Souvent, quelqu’un qui rencontre un problème avec un produit est aussi consommateurs d’autres substances, qu’elles soient stimulantes, hallucinogènes… (Tabac, cannabis, cocaïne, héroïne,…). On parlera de polyconsommateur.

L’ANPAA, depuis une dizaine d’années, accueille, dans tous ses centres en France, des personnes avec tout type d’addiction, avec ou sans produit. Il existe, en effet des addictions comportementales, le jeu par exemple. L’anorexie et la boulimie font aussi parties de ces addictions.

Accueillir les dépendants

 

Moë-Kan : Quelle est l’organisation et les moyens d’un centre de l’ANPAA aujourd’hui ?

FA : L’ANPAA, c’est 1400 salariés répartis sur toute la France, avec des organisations différentes suivant les régions. Cependant, dans une structure type, nous avons un service de soins avec un médecin addictologue, un psychologue, un travailleur social, un service de prévention et un service de formation. C’est le schéma cadre, même si certains départements n’ont qu’un service de soins ou qu’un service de prévention.

Moë-Kan : A quel moment les personnes se présentent-elles à vous et quand les laissez-vous partir ?

FA : Les centres de soins sont des centres ambulatoires. La démarche est volontaire. Les gens y viennent comme à une consultation chez un médecin généraliste. Celle-ci dure en principe entre trente et quarante-cinq minutes. La personne peut être reçue non abstinente ainsi que son entourage.

Le but est tout d’abord d’aider la personne à vivre mieux avec sa difficulté, sa maladie. Si la personne veut arrêter, c’est elle qui le décidera.

Le cadre travail : un élément important

 

Moë-Kan : Mais alors la personne vient de son propre chef, ou est-elle obligée de venir ?

FA : Il y a tous les cas de figure. Certains viennent par eux-mêmes, d’autres sont poussés par leur famille, par la justice (dans le cadre de la sécurité routière, ou bien de violence domestiques…). Certains viennent nous voir suite à un accident de travail, sur demande de leur employeur, de leur médecin généraliste… Pour ce qui nous concerne, le cadre travail est un élément important pour faire venir des gens. Les médecins du travail ont un rôle qui se développe.

Une personne peut être dépendante ou n’avoir qu’un problème ponctuel avec le produit, le soignant ne le sait pas à priori. Seule la personne le sait. En tout cas, elle vient souvent car elle ne veut pas perdre son conjoint, ses enfants, ou son travail. Le travail est un pilier de notre société. Du fait de la conjoncture actuelle, les gens y sont particulièrement attachés. Dans le cadre du soin, il est toujours préférable d’accueillir des personnes qui ont encore un cadre familial, amical autour d’elles et qui ont un emploi.

Un secteur spécifique ?

 

Moë-Kan : Nous nous rencontrons en 2013 dans le cadre d’un festival dont j’ai en charge la sécurité. Et, comme je suis également le directeur de développement de la Société MOE-KAN, et chargé de développement de la société ARTEK-FORMATIONS, spécialisée dans la prévention des risques, je souhaite que nous dialoguions autour de la problématique des addictions dans le monde du spectacle vivant. Dans la démarche de prévention des risques, nous devons, en effet, prendre en compte cette problématique qui est une réalité dans notre secteur d’activité, mais aussi dans bon nombre d’autres. Je te demande alors de venir voir et apprécier nos conditions de travail, afin de pouvoir en discuter après. Y-a-t ‘il déjà, à ce moment-là, une volonté de l’ANPAA d’avoir une démarche spécifique envers le monde du spectacle ?

FA : Oui, car toute activité professionnelle à sa culture, ses codes, ses pratique propres. Le travail dans l’évènementiel est bien particulier dans ses rythmes de travail, ses horaires, ses contrats, ses relations de travail… En ce qui concerne le problème des conduites addictives dans ce secteur, je ne considère pas le milieu plus à risque. Il y a des consommations mais cela se retrouve dans de nombreux secteurs d’activités.

Notamment, il y a 3 ans, j’ai travaillé pour la préfecture et l’association des maires sur le sujet lors des fêtes votives. Par ailleurs, je mène depuis 2012 des formations auprès des médecins, et des autres personnels des services de santé au travail de Midi Pyrénées. Ce sont des formations de 4 trois jours et demi sur la prévention des conduites addictives dans le cadre du travail. En préparant cette formation, j’ai observé et j’ai collecté les retours de médecins eux-mêmes, sur les problèmes qu’il peut y avoir dans le secteur du spectacle et de l’hôtellerie.

Moë-Kan : Une chose m’a surprise lorsque tu m’as transmis les statistiques de l’INPS comparant la consommation dans le secteur de l’hôtellerie et celui du spectacle vivant. La consommation y est quasiment la même sauf que, et tu me l’avais précisé, dans l’hôtellerie, l’alcool est un produit vendu, la cohabitation avec est donc constante, alors que ce n’est pas le cas dans notre secteur d’activité.

FA : Effectivement. J’avais donc déjà un intérêt pour ce secteur, et notre rencontre l’a renforcé. La démarche n’est pas de dire « ce secteur-là est différent qu’un autre » Il est aussi pertinent et important d’y intervenir que dans un autre secteur, mais avec ses spécificités, sur des temps courts, des cadences de travail souvent importantes…

Moë-Kan : Lorsque tu es venu sur ce festival, quelles ont été tes impressions, et ce que tu as vu a-t’il été conforme avec ce que tu savais, ce qu’on t’avait dit et ce que je t’avais dit en t’invitant ?

FA : je me suis rendu compte, et nous avons pu le valider par la suite, que lorsqu’on mène des actions de prévention durant des temps festifs, on pense aux festivaliers, parfois aux bénévoles, mais très peu aux professionnels qui sont embauchés. On pense qu’ils sont professionnels, donc sous couverture de leurs employeurs, et ainsi qu’ils ne sont pas concernés. Or, j’ai pu constater que, lorsqu’il y a un temps convivial qui est organisé pour les bénévoles, il l’est aussi pour les salariés. Or, si les bénévoles sont présents dans le cadre d’un moment privé, les salariés le sont dans le cadre d’un contrat de travail. C’est différent en termes de responsabilités vis-à-vis de l’organisateur. Nous avons donc sur un même temps et un même espace, des festivaliers, des bénévoles et des salariés, trois statuts différents, qui peuvent être confrontés à des consommations qui, de fait, ne peuvent pas être les mêmes. C’est donc compliqué à gérer. L’impression que j’ai eu à la fin, c’est que pour beaucoup, la consommation de produits psychoactifs fait partie de la culture du secteur, et que la consommation relève de la responsabilité du salarié, et donc de la sphère privée. C’est en partie vrai. S’il prend tel ou tel produit, c’est peut-être lié à sa vie privée, mais je crois que l’environnement de travail, qui relève de la responsabilité de l’employeur, induit énormément de consommation de par la cadence ou le temps de travail. Prenons l’exemple de l’hôpital. Lorsqu’un salarié doit faire une garde de 48 heures, s’il n’a pas de possibilité de faire des breaks pour prendre des micros siestes, les conditions de travail vont induire les consommations de produits. Sinon, il ne peut pas tenir. Dans le milieu des professionnels du spectacle, les conditions de travail peuvent induire des consommations. Souvent, on va mettre cela sous un verni culturel, mais je crois que cela peut être aussi une nécessité pour tenir.

Une question de sécurité

 

Moë-Kan : Le verni culturel, on aurait pu l’évoquer pour tous les métiers physiques ou aux conditions éprouvantes, non ?

FA : Tout à fait. Aborder le problème de la consommation des substances psychoactives sous l’angle de la sécurité est, pour moi, fondamental. Lorsqu’il y a un problème de consommation de produit au travail, on va l’aborder sous l’angle de la santé. Mais avant d’être un problème de santé, c’est d’abord un problème de sécurité. On ne va donc pas se focaliser sur les rares personnes qui ont un vrai problème d’addiction à un produit psychoactif, mais sur toutes celles qui sont consommatrices et qui sont susceptibles d’être à risque dans l’environnement du travail et l’organisation de celui-ci, mais aussi face au public.

Or, lorsqu’on nous appelle, on nous dit « celui-ci à un problème avec le cannabis, celui-là est alcoolique.. » Certes, des personnes ont des dépendances, mais ce n’est pas à l’employeur de le dire, c’est le fruit d’un diagnostic médical. En outre, c’est faire l’impasse sur toutes les personnes consommatrices, parfois de manière importante, et qui vont par exemple utiliser une nacelle élévatrice pour installer des projecteurs à 7 ou 8 mètres de haut. Ceux-là sont tout autant à risque que les personnes qui ont une dépendance et qui, peut-être, la gère mieux au final, encore que… Avant d’être un problème de santé, et donc un problème privé, c’est un problème de sécurité et qualité au travail. Ton angle d’approche par la sécurité me convient, parce que c’est par ce biais-là que l’on peut aborder la chose de la manière la plus sereine et la moins ambiguë. Tout le monde, aujourd’hui, comprend qu’il vaut mieux éviter de boire avant de prendre sa voiture, pour une question de… sécurité.

 

Moë-Kan : Oui, car, du coup, cela concerne tout le monde.

FA : Exactement. Informer pour mieux agir.

 

Moë-Kan : Donc, nous avons décidé de nous mettre autour de la table, de réfléchir à une première étape, une journée de sensibilisation. J’aimerai que tu nous expliques quelles informations les personnes qui y assisteront obtiendront.

FA : c’est sur une journée, c’est donc court. Cependant, nous allons présenter un panel d’informations sur nos représentations sociales. Par exemple, lorsqu’on prononce le mot alcool, certains entendent accident, d’autres fête, convivialité, problèmes de management, violence… Tout cela dépend de notre passé, de notre histoire. C’est la même chose avec tous les produits. En outre, on travaille également sur les représentations concernant les personnes qui consomment ces produits. Mais nous ne nous étendrons pas dessus.

Ensuite, nous parlerons des produits et de leurs incidences sur le corps, comment cela fonctionne, pourquoi des personnes sont dépendantes…Nous ne nous étendrons pas non plus dessus, mais comme 100% des adultes en France, ont consommé un produit psychoactif, pour des raisons thérapeutiques, conviviales ou autres, il s’agit de voir comment peut s’inscrire cette dépendance au produit. Certains ont, en effet, des idées parfois arrêtées concernant la relation que d’autres peuvent avoir avec le produit.

Une fois que l’on a dégagé ce terrain autour de l’addictologie, et que l’on a relevé les expériences de chacun, nous aurons une partie législative. Aujourd’hui nous avons un fort lobbying sur les contrôles éthylotests. Il s’agit d’indiquer ce que l’employeur peut faire ou ne pas faire, afin que chacun puisse se positionner et prendre les décisions qu’il souhaite dans son organisation à discuter ensuite avec les organisations représentatives du personnel. Ensuite nous présentons un certain nombre d’outils concrets, des démarches, par exemple des procédures de retrait en cas d’ivresse. En effet, l’idée est de prendre du recul par rapport au produit ou à la personne, et se focaliser sur la qualité et la sécurité au travail. Sur quoi puis-je me fonder pour exprimer à quelqu’un mon mécontentement et le retirer de son poste de travail ? On va aller sur le terrain de la qualité et de la sécurité pour apprécier ou non l’urgence. Il existe donc des procédures ainsi que des outils, par exemple, la « fiche constat » qui peut être établie pour signifier à une personne pourquoi on l’a retiré de son poste de travail ou pourquoi on lui signale telle ou telle chose. Cela permet également à l’employeur, de son côté, de rappeler à la personne ses obligations, ses droits et devoirs dans le cadre du travail. Cela permet d’être dans un échange réel.

Avant tout cela, j’y tiens beaucoup, il s’agit de donner des outils pour savoir comment en parler. Quels mots utiliser sans stigmatiser ? Souvent, on constate une situation mais on ne sait pas comment l’aborder avec la personne concernée. On préfère alors fermer les yeux et faire l’autruche. C’est donc donner des outils en termes de communication pour aborder ces problématiques.

 

Moë-Kan : Est-ce qu’à un moment donné sont abordés les acteurs externes qui peuvent prendre le relais ou accompagner ?

FA : Oui. Il s’agit de prendre connaissance du partenariat local en addictologie existant et voir le panel de personnes qui, dans l’organisation, peuvent être acteur. Cela peut être l’employeur, la médecine du travail, les partenaires sociaux, le CHSCT… . Il y a des documents tels que : le document unique, le règlement intérieur… Je viens d’ailleurs avec des exemples d’actions menées dans des entreprises.

Aider le consommateur à faire le lien entre sa consommation et ses impacts professionnels

On ne focalise pas sur les entreprises du spectacle plus que les autres. Le problème est partout. Cependant, il reste des aprioris, sur certains secteurs, d’une consommation de produits (bâtiment, hôtellerie, monde du spectacle….). Certes, nous aurons quinze personnes autour de la table qui appartiendront à ce secteur, mais il n’y a pas de spécificités autour des produits psychoactifs liées au spectacle vivant. Il est cependant important que des professionnels de ce secteur puissent échanger entre eux et croiser leurs expériences car je n’ai jamais vu de responsables qui ne se soient posé la question, voire qui n’ait mis en place des actions de prévention, parfois sans même le savoir. Chacun, dans son coin, essaye de se dépatouiller. Par exemple, l’employeur ne rappelle pas tel salarié parce que l’année dernière, il y a eu un souci, ou bien il raccourci le contrat et lui dit que c’est terminé, le tout sans dire pourquoi. En général, plus les missions sont courtes, moins on investit. Dans ces risques se mélangent le privé, le droit du travail, la convivialité, le management. Alors on préfère ne rien dire ou raccourcir le contrat, mais on ne leur dit rien. Or, nous, en tant que service de soin, on aimerait bien qu’il y ait, dans leur entourage, des personnes qui le leur disent.

« Ta mission, elle s’arrête aujourd’hui, juste parce qu’hier, tu étais complètement « out » et que tu as dormi trois heures dans l’après-midi, et je pense que c’est lié à une consommation de produit psychoactif. » C’est des choses comme cela qu’il s’agit d’exprimer, afin que la personne puisse faire le lien entre sa consommation et ce que sa consommation de produit psychoactif peut impacter dans sa vie professionnelle. Quand on consomme un produit psychoactif, on est dans un état second, on ne voit donc pas forcément ce que l’on nous reproche, d’autant plus que la substance donne un excès de confiance !… On retire donc le salarié de son poste de travail alors même qu’il se sent bien meilleur. Si on n’est pas capable d’exprimer les raisons de notre décision il y a de forte chance qu’elle reproduise son comportement. L’individu quitte l’employeur en se disant qu’il a affaire avec des cons, mais en aucune manière il ne voudra ou pourra faire le lien avec sa consommation.

Sortir de la problématique santé pour celle de la qualité et de la sécurité.

 

Moë-Kan : Pour terminer, peux-tu nous dire deux mots sur le risque psychoactif ?

FA : Psycho fait référence à tout ce qui touche au cerveau et actif, qui modifie le comportement de la personne, donc tout produit qui modifie le comportement de la personne. Je bois deux verres, je ne suis pas la même personne que lorsque je suis à jeun, je fume du cannabis, cela modifie mon comportement, la lecture du monde qui m’entoure, et, avant tout, la lecture de moi-même. Nous avons tous d’excellentes raisons de faire ce que nous faisons et de dire ce que nous disons. La personne qui prend un produit psychoactif a d’excellentes raisons de le faire. Pas de souci avec cela. Mais dans le cadre du travail, elle a signé un contrat de travail, et c’est donc inapproprié. C’est cela notre démarche. Il faut le rappeler. En outre, certains produits sont interdits par la loi. Mais je ne rentre pas sur le problème du délit, des contrôles de police.

Moë-Kan : Mais s’il y a des produits interdits, en existe-t-il qui soient autorisés dans le cadre du travail ?

FA : Oui, le droit du travail donne la possibilité de consommer du vin, de la bière, du cidre et du poirée sur le lieu de travail, ainsi que de fumer du tabac. Ce n’est donc pas interdit de faire une pause cigarette, ni de boire de l’alcool, à moins que le règlement intérieur soit allé au-delà de ce que dit le droit du travail en prohibant complètement la consommation d’alcool, ce qui a été récemment remis en cause (3). Le règlement intérieur ne peut, en effet, pas remettre en cause la consommation de boissons fermentées, car cela s’oppose au droit individuel. On pourrait, cependant, l’interdire aux postes à risques. Il faut avoir, auparavant, déterminé les postes à risques dans le document unique. Les autres produits sont interdits dans le cadre du travail, mais aussi sur le territoire français. Enfin, pas tous. Il existe également les produits sur prescription médicale qui sont aussi des produits psychoactifs. 20% de la population française consomme chaque année des médicaments psychoactifs, Anxiolytiques, antidépresseurs, somnifères. Or, des personnes viennent au travail en ayant pris le médicament, ou bien ont oublié de le prendre la veille et le prennent le matin, ou bien sur leur lieu de travail, voire le midi avec un verre de vin… L’association des deux pouvant être explosive chez certains.

En outre, les personnes en horaires décalés prennent des médicaments, pour dormir à certains moments de la journée, parce qu’ils n’en peuvent plus, etc… C’est pour cela que l’employeur doit éviter de faire un diagnostic. Le type de produit consommé par un salarié n’est pas son problème. C’est l’état de la personne en termes de qualité et de sécurité au travail qui l’est. Je me réfère, en tant qu’employeur, à la qualité du travail pour laquelle la personne est missionnée, et la sécurité. Il existe aussi la notion de non-assistance à personne en danger, si je ne fais rien. Ce n’est plus le code du travail, mais le code pénal.

La qualité comme repère

 

Donc, la qualité est un repère. Les fiches constats donnent tout un tas d’items pour repérer l’ivresse d’une personne. Le noeud est sur la loi de l’ivresse, « Il est interdit de laisser entrer ou séjourner dans les lieux de travail des personnes en état d’ivresse 4 », et l’ivresse n’est pas définie par un produit, c’est un état. Cet état, associé à des faits professionnels, me permet, sur l’instant, de prendre une décision de retrait, d’alerte, ou, a minima, de la dire à la personne un moment ou un autre. Pourquoi tolère-t-on des personnes ayant consommée un produit psychoactif dans une salle de spectacle alors qu’on refuserait à un salarié de s’y trouver par exemple en slip! Pourtant, en termes de qualité, son travail ne s’en trouverait pas forcément modifié, idem pour la sécurité. Or cette personne, en slip se verra signifier tout de suite sa tenue inadaptée. La même personne arrivant alcoolisée se verra plus difficilement signifier ce fait. Le blocage est là. « Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à le lui dire ? » L’employeur doit donner des éléments législatifs, des mots, des arguments, et rester à sa place, son statut, sa responsabilité.

 


 

1 Le 16 mars 1915

2 Nom donné aux combattants revenus du front gravement blessé voire défigurés.

3 Texte intégral en ligne

4 Article 4228-21 du code du travail

 

 

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